vendredi 21 octobre 2016

Lempedusa, encore et toujours!

Dans le précédent article, j'ai évoqué une exposition du Mucem de Marseille qui avait eu lieu en 2015 intitulée "Lieux saints partagés". Elle y présentait, entre autres, des documents illustrant la tradition ancienne d'accueil des naufragés et des rescapés de toujours par les habitants de l'île de Lampedusa à travers le temps. Ile qui par ailleurs servait aussi d'escale pour les navigateurs.


Cette photo de Franck Pourcel prise en 2012 à Lampedusa montre une sculpture faite par des migrants avec des matériaux de rebut  et qui évoque une sorte de madone avec femme et enfant.


L'exposition précisait que depuis le XVIème siècle il existait une grotte dédiée à la fois à Marie et à un saint musulman. Les marins des deux religions y déposaient des offrandes et des vivres destinées aux éventuels naufragés. D'où l'appellation de "Madone des naufragés" donnée à cette vierge.


Il est précieux d'avoir ainsi l'occasion de mettre en perspective les évènements de notre monde d'aujourd'hui avec  ce que le temps a forgé pas à pas bien avant le présent de notre actualité. Cette tradition, d'accueil mais aussi de partage des lieux saints entre différentes religions, se heurte aujourd'hui à une catastrophe, si l'on s'en tient aux images médiatiques, aux chiffres démesurés qu'on annonce et à la répétition de l'impuissance qu'ils révèlent.


Pourtant il existe d'autres regards possibles sur ce qui se passe là-bas, d'un côté et de l'autre des parties clivées de cette île. C'est ce à quoi nous invite le documentaire exceptionnel de Gianfranco Rosi "Fuocoammare Par delà Lampedusa", qui a travaillé sur le long terme avec les habitants de l'île, ceux dont la vie continue tant bien que mal et ceux qui s'exposent à ces raz de marée incessants de naufragés, vivants et morts. 


Il leur a consacré une attention prolongée pour saisir la vie dans tous ses états, à travers notamment l'engagement bouleversant d'un médecin de l'île aussi bien que la vie des enfants et de leur famille, éloignés, même clivés, de ce qui se vit sur la côte où sont recueillis les migrants.


Un tel regard de documentariste et de cinéaste à part entière, en particulier la construction de son film, permettent au spectateur d'être à la fois informé, au plein sens du terme, touché et capable de penser quelque chose de cette situation pourtant démesurée.


Objet présenté au Mucem avec cette phrase:
"Dono Di Sua Santita
Papa Francesco S.Natale 2013"
Quel soulagement que les créateurs puissent poursuivre leur exigence de travail et la faire partager, à contre-courant du désastre auquel conduit la diffusion accélérée d'informations supposées telles mais qui ne sont que des "données" accumulées sans perspective!


Ces créateurs nous redonnent ainsi accès au temps pour penser et d'abord pour éprouver ce qui nous est donné à voir. Et des moments si différents les uns des autres peuvent captiver le spectateur dans l'émotion la plus simple, dans un sourire complice, aussi bien que dans l'effroi, et le sentiment d'accéder à l'irreprésentable.


Après avoir vu ce film, je me suis sentie accaparée par une image, d'abord insaisissable, qui semblait chercher à accéder à ma mémoire. Elle venait se superposer à celle de ce formidable match de foot filmé par Rosi entre les réfugiés composant des équipes à partir de populations de multiples nationalités attendant dans leur camp. 


Et peu à peu s'est précisé en moi le souvenir d'un non moins extraordinaire jeu de foot, sans ballon celui-là, qui venait du film "Timbuctu" du réalisateur Abderrahmane Sissako, Partie de foot qui narguait la terreur que voulait faire régner les islamistes sur les populations. Cette partie était exemplaire des capacités de résistance que peuvent opposer le jeu et le rire et dont font souvent preuve les enfants dans des situations dramatiques; capacités que n'avaient pas perdues ces adultes-là...