jeudi 26 mai 2016

Sète à la renverse


Drôle de posture chez cet homme assis à l'horizontale! Et puis piètre photo de photo qui y superpose des transparences et des reflets de néons... Un saccage? Peut-être simplement l'usage fait d'une photo de Philippe Ramette exposée au CRAC de Sète par une visiteuse autorisée, comme tout visiteur de cette exposition, à la photographier... 

Photo de la photo, celle-ci devenant autre chose dès lors qu'elle est exposée et que le photographe accepte de la livrer au public. 

Mais tout de même, que fait-il, celui-là, assis dans un probable inconfort? Et comment fait-il? Bien sûr, chacun des visiteurs tourne la tête, se penche, tente de retrouver un endroit... l'endroit... Au risque du torticolis, sinon c'est la crampe assurée aux abdominaux par identification à l'homme bizarrement assis.

Etrange changement de point de vue pour celui qui est photographié et qui n'est autre que le photographe lui-même. Du coup, nous sommes tous invités à jouer aussi avec l'endroit  et l'envers, le bon sens et le mauvais sens. Mais nous ne sommes pas obligés non plus de retourner ce que nous voyons! Voguons déjà un peu dans ce sens-là. Peut-être réussirons-nous à ne pas chavirer.

Voici que mon assise basculée me révèle tout à coup autre chose: je crois bien que j'ai inversé la photo elle-même en la publiant ici. Au CRAC, elle est bien présentée dans l'autre sens mais sur mon ordinateur, elle est partie à la renverse sans prévenir...

Alors la voici à nouveau, pour faire redescendre l'homme sur terre... Il semble plus à l'aise assis de cette façon, sans doute. Mais quand-même, avec le brise-lames de Sète, il y va fort! Retourner le port pour être mieux assis... Le faire plonger même, alors que le brise-lames, on le sait, a la force des géants face à la mer démontée, quel culot!

Le vide est bien là devant lui, cependant. A donner le vertige. Là-haut, il ne risquait pas de tomber bien loin derrière lui. Ici s'il tombe en avant, on ne sait plus si ce sera dans la mer ou dans le ciel. On aurait presque envie de s'accrocher avec lui au néon...

Précisément ce néon me fait penser à la remarque d'une collègue à propos de l'article de ce blog sur Anselm Kiefer de Février 2016. La visiteuse qui téléphonait sans vergogne devant le grand livre de plomb mural n'était-elle pas en train de créer à son insu un autre tableau, ou plutôt de permettre aux regardeurs d'en créer un autre en eux?

Le tableau initial, lui-même transformé déjà par la disposition qu'avait voulue Anselm Kiefer pour l'exposition de la BNF, se trouvait bien là témoigner de façon inattendue des entrechocs de notre civilisation avec l'oeuvre, avec toute oeuvre, sa prise dans la publication, ses destins muséaux, son embarquement avec les techniques de communication, et sa permanence tenace ici derrière les agitations humaines.

Transformer l'arrogance ou l'irrespect du visiteur en création dans l'oeil du regardeur, voilà qui renverse aussi les perspectives, pour le plus grand bien de notre santé psychique, n'est-ce-pas cher W.F. Bion? (Pour ceux qui ne connaissent pas ce nom, par ailleurs souvent cité sur ce blog, il s'agit d'un psychanalyste anglais qui s'intéressait particulièrement aux changements de perspective et de vertex dans notre activité psychique et dans l'expérience psychanalytique.) Quel plaisir de découvrir toujours des points de rencontre entre les arts et la psychanalyse!


dimanche 8 mai 2016

Le bois dont les rêves sont faits







Un bois ? Pourtant dans ce film celui-ci apparait sans limite, offrant des fonds où se perdre et se cacher. Il pourrait bien avoir accueilli la Belle au Bois Dormant pendant des siècles !  Et l’on pourrait y voir surgir toutes sortes d’animaux étranges et fascinants, on pourrait y entendre des cris et des chants, échos d’un autre monde. Il est vrai cependant que pour la Belle il s’agissait aussi d’un bois…là où les frayeurs et les mystères qu’il cachait semblait plus à la mesure d’une forêt, et même amazonienne…


Ici les êtres étranges et émouvants sont des humains qui racontent leur façon de faire avec ce bois, d’y vivre et d’y rêver parfois. Ils s’y réfugient solitairement ou s’y retrouvent. Ils s’y tiennent « à distance respectable » les uns des autres, comme on dit…Parfois, ils s’y cherchent, aussi.
 

Les histoires racontées dans ce film sont le fruit de rencontres faites par la cinéaste, Claire Simon. On pourrait même dire qu’elles racontent indirectement ces rencontres tout autant que des vies. Une approche du bois et de ses habitants, une pénétration patiemment revue au montage, et reconstruite. 


Une cocréation aussi, si l’on en croit ce que Claire Simon dit à Michel Ciment dans l’émission « Projection privée » du samedi après-midi sur France culture. En étant filmées, ces personnes interrogées font œuvre également, dit-elle. J’ajouterais bien: d’abord en recréant ce bois par les usages qu’elles en font. Usages multiples et insolites, parfois cocasses ou pathétiques…


Les lieux institutionnels du bois de Vincennes ne sont pas retenus ici. Ni la Cartoucherie, ni le centre équestre, ni le terrain de courses, ni le parc floral. En revanche, l’ancienne faculté de Vincennes y prend une place symbolique par l’absence de traces qu’elle y a laissées depuis trente ou quarante ans. Cette absence fait parler et s'étonner la fille d’un des philosophes qui attisaient  à l'époque le désir de penser dans ce lieu, Gilles Deleuze. Mais paradoxalement, les arbres ont eux-mêmes contribué à cet effacement, pour la satisfaction de bien des hommes politiques, ceux d'alors et ceux d’aujourd’hui... 


En cette période anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, d’autres arbres effaceurs de traces s’associent à ceux du film. Mais au bois de Claire Simon, se faufilent volontiers les bois de nos enfances, ceux qui nous ont perdus et protégés autrefois, ceux qui nous ont offert des trouvailles et des terrains de jeux, ceux qui ont suscité en nous tellement d'émotions, ceux qui nous ont donné le sentiment de l’existence d’autres mondes. Leurs traces sont toujours là, à jamais. 


Elles sont à la mesure des forêts primitives, celles dont parlent les spécialistes, botanistes et explorateurs, tels Francis Hallé avec son film "Il était une forêt" et qui invitent les humains à élargir leur vision du monde à une échelle démesurée dans l’espace et dans le temps. 


Belles invitations à penser et à rêver que nous proposent ces contes, ces recherches et ce film, au titre si prometteur : « Le Bois dont les rêves sont faits »