dimanche 25 décembre 2016

corps de femmes recréés, occupés, défigurés, décomposés

Les artistes ont parfois une capacité à mettre en images les états du corps les plus insaisissables. Mais s'agit-il vraiment du corps ou plutôt de certains états psychiques vécus à travers le corps? Corps-symptômes, pris dans des éprouvés inconnus, angoissants, à rendre fou! Eprouvés qui peuvent aussi faire croire à celui qui les vit que tout se voit, s'inscrit sur le corps de façon visible, et qu'il ne peut rien en préserver du regard de l'autre.


Il y aussi ces sortes de visions, de projections que nous faisons de l'autre, de ses débordements d'humeur ou de ses inconstances, de ses attitudes incompréhensibles et imprévisibles, surtout quand elles sont vécues dans l'enfance à l'égard de parents, ressentis comme tout-puissants. Elles peuvent rester agissantes tout au long de la vie.


Précisément les artistes nous en offrent parfois des traductions saisissantes que le regardeur peut recevoir et tenter de s'approprier. Plusieurs expositions en donnent l'occasion ces derniers temps.


En particulier celle du musée Cantini à Marseille, sur le rêve (jusqu'au 22 Janvier 2017). On y voit cette tête de femme peinte par Victor Brauner qui fait sentir l'effroi de se sentir doublée d'une présence...étrangement invisible, mais si prégnante pour le regardeur... Apparemment tout est beau et lisse sur ce visage de femme. Mais par derrière, qu'est-ce donc que ce monstre noir qui apparait comme une excroissance de sa tête? Belle et Bête en métamorphose redoutée... La Belle sait-elle ce qui se trame dans sa tête?


Son regard, quasi de verre, est-il tourné vers l'intérieur d'elle-même? Figuration de ce que l'on peut projeter de l'horreur de soi ou de l'horreur de l'autre, dans sa capacité de tromperie? Ou bien, à une échelle plus anthropologique, destin inéluctable de la beauté humaine appelée à être dévorée, défigurée, transformée en monstre par un agresseur, toujours tapi par derrière? Cette oeuvre date de 1941, alors que L'Europe est envahie par les nazis. L'artiste, juif d'origine roumaine, émigré en France et surréaliste, l'a intitulée "Conciliation extrême"!


D'autres états du corps figurés par Magritte sont visibles au centre Pompidou à Paris en ce moment. L'un d'eux apparait comme une version beaucoup plus lisse, mais en mouvement et humoristique, de cette colonisation par l'autre, avec "Les jours gigantesques".


La femme se débat ici mais l'homme la colle comme une deuxième peau.  Terrible risque pour elle de confusion avec le corps de l'autre! Terrible attraction pour lui par le corps de l'autre, désinvesti de sa dimension de femme! Il a déjà contaminé sa peau. Jusqu'où ira-t-il? Cependant il s'est  amputé d'une grande partie de son propre corps!


Un autre tableau célèbre de Magritte est présenté à Paris mais troublant, écoeurant même, dans ce qu'il donne à voir du corps de l'autre: il crée une envie de s'en détourner. Plus rien n'y est à sa place! Mais faut-il parler de corps ou de visage? Le corps entier occupe la tête de cette femme! Sans doute l'artiste en a-t-il fait un éclat de rire... Un éclat de rire surréaliste...


Et pourtant, quelle impudeur, quelle horrible nudité! Ce tableau-là s'intitule "Le viol" et date de 1945.  Magritte en a fait une autre version quelques années plus tôt. Qu'est-ce-qu'il cherche donc à violer ici, même s'il en rit? Ce n'est qu'une représentation, certes, une création, mais elle fait venir au regardeur tant d'associations les plus actuelles, les plus crues, les plus révoltantes! Aussi bien en raison de la date de sa création que de ses résonances avec les guerres actuelles...


Peut-être y a-t-il dans ce corps monstrueux quelque chose à la mesure de ce que vit une femme violée? A moins qu'il ne s'agisse de ce que peut éprouver un violeur qui veut s'approprier l'autre en recréant son corps selon sa pulsion?


A propos de ce tableau, Magritte exprime dans une lettre à son ami C.Spaak ce qui à ses yeux est essentiel dans l'art: "une pureté, une précision de l'image du mystère, qui ayant abandonné toute conjoncture accidentelle, soit décisive" (in René Magritte, signes et images de Harry Torczyner, Edition Draeger 1977). Ce décisif a bien quelque chose de glaçant, ici...


Pour sortir de l'horreur du corps qui n'est plus que chair obscène, nous pouvons revenir à Marseille pour nous attarder sur cette Thérèse Walter intitulée "Dormeuse aux persiennes", corps de femme aimée "recréé" par Picasso en 1936. Etrangement, de ce corps décomposé se dégage une sensualité, une beauté, une puissance émouvantes, tout en suscitant simultanément un trouble d'inquiétante étrangeté.


Visions de corps de femmes par des artistes hommes qui se parlent aujourd'hui d'une ville à l'autre, de Marseille à Paris.  Visions qui offrent au regardeur d'autres possibilités de créations intérieures, de rêveries éveillées et d'associations libres. Un vent de liberté malgré certains chemins ouverts vers l'horreur... 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N'hésitez pas à mettre un commentaire, même anonymement en cliquant sur "commentaires" puis en déroulant le menu jusqu'à "anonyme".