vendredi 20 mars 2015

Pour Jean-Max Gaudillière

Le psychanalyste Jean-Max Gaudillière n'animera plus avec Françoise Davoine à l'EHESS le séminaire "Folie et lien social", emporté lui aussi par le cancer le 19 Mars 2015. Son élaboration de ces dernières années s'était, semble-t-il, encore aiguisée avec l'expérience de la maladie, de l'hospitalisation, de la réanimation. Et il a poursuivi jusqu'au bout ce travail de transmission, partagé avec les participants du séminaire.


Les liens se faisaient constamment entre tous les secteurs de son expérience et de sa vie, caractéristique de la pensée qu'il partageait avec Françoise Davoine, sa femme, et qu'on retrouve plus particulièrement dans certains de leurs écrits.  

 
La question de la temporalité et de ses mouvements singuliers avec le trauma le tenait singulièrement. Au séminaire, il nous en a transmis les dynamiques, traduites si bien, selon lui, dans certaines oeuvres de rescapés de situations de guerre. En particulier lors de l'année 2013-2014, à partir des ouvrages du romancier Kurt Vonnegut. (J'en ai rendu compte sur ce blog, notamment dans les articles "La femme de Loth en guerre", "De la femme de Loth à sa femme de sel", "La femme de Loth et l'exigence du respect").


Parler de dynamique dans le trauma peut sembler paradoxal mais ce que le trauma fige, dans un premier temps, se trouve toujours présent et actif psychiquement, même souterrainement. Jean-Max Gaudillière avait l'art d'en traquer les traces, les effets, chez ses patients, ou plutôt de se rendre réceptif à ce que ces traces éventuelles éveillaient en lui à partir de ce qu'il percevait comme un arrêt du temps dans le trauma. D'où une lecture de certaines oeuvres littéraires, mais aussi de la clinique psychanalytique, toujours liée à la situation transférentielle engagée avec elles à partir du trauma ou de la psychose. 


Son oeuvre de transmission est inséparable de celle de Françoise Davoine. Ils élaboraient ensemble et  étaient un exemple de couple animé par une recherche commune, même si leurs styles étaient différents ainsi que leur rapport à l'écriture.



Ils savaient l'un et l'autre accueillir la recherche d'autrui et se nourrir des travaux menés hors de nos frontières françaises. Pour ma part, ayant eu la chance d'avoir reçu cet enseignement à deux têtes, je continuerai, comme bien d'autres, à m'en faire héritière, à ma façon. 


Je me réjouis d'avoir eu l'occasion de proposer la participation de ces deux psychanalystes à la revue de la Société de Psychanalyse Freudienne, "Les Lettres", pour le numéro 28, 2012, intitulé "La guerre sans trêve". Leur article s'intitule "Psychanalyse de guerre". Et ils avaient accepté de venir débattre ensuite avec d'autres auteurs à la "lettrée" consacrée à ce numéro.


Parmi les publications de Jean-Max Gaudillière, les livres écrits et signés avec Françoise Davoine:
Histoire et trauma La folie des guerres, Stock, 2006 (d'abord publié à New York en 2004); A bon entendeur, salut! Face à la perversion, le retour de Don Quichotte , Stock, 2013.





dimanche 8 mars 2015

1962, 1968, 1972, 2014: Histoire du cryptogramme de la faculté de Jussieu à Paris

Dans un  article précédent du blog (12/10/2014 "Chercher en marchant. L'Algérie toujours"), j'avais évoqué les travaux des historiens qui arpentent physiquement les territoires de l'histoire. Ceux-ci observent et apprennent par les pieds et ils ouvrent l'oeil là où d'autres n'auraient pas idée de s'attarder. Certains parcourent ainsi les rues des villes quand elles existent encore, en explorant les traces de l'histoire laissées sur les façades, les porches, les portes, les trottoirs et les pavés. Il semble toutefois qu'ils regardent plus souvent en l'air que vers leurs pieds.


L'architecte Gérard Sainsaulieu est de ceux-là. Nous lui devons le livre "Les trottoirs de la liberté" qui propose une promenade historico-politique dans les rues de Paris. Et voilà qu'un des derniers numéros de "L'Humanité dimanche", daté de la semaine du 19 au 25 Février 2015 et qui célébrait l'anniversaire de la répression de la manifestation dite de "Charonne" de Février 1962,  nous livre l'histoire d'une autre trouvaille de l'architecte, révélée à lui-même en plusieurs temps.


Nous sommes renvoyés à l'époque de la fin de la guerre d'Algérie et des manifestations sanglantes d'Octobre 61 et de Février 62, manifestations qui occupent une partie de mon livre Rue Freud. J'y suis revenue sur ce blog il y a un an, dans l'article "Carrefour de Charonne", le 21/02/2014.


Gérard  Sainsaulieu nous raconte que dix ans après la signature des accords d'Evian, mais quatre ans après les évènements de Mai 68, une manifestation était appelée depuis la nouvelle faculté de Jussieu "pour honorer les morts de la répression policière". L'appel s'inscrivait ainsi sur une façade de l'université, déroulée en une colonne de haut en bas: "ON ASSASSINE A PARIS EN UN AN PLUS DE 150 ASSASSINATS RACISTES HALTE AUX CRIMES RACISTES ET FASCISTES POUR BRISER LE SILENCE TOUS DANS LA RUE 25/2 METRO CHARONNE 18h30. 


le cryptogramme photographié par Gérard Sainsaulieu en 2012
La suite nous fait passer en quelque sorte "du rire aux larmes". Dès la nuit suivante les autorités universitaires font recouvrir l'inscription de peinture blanche mais celle-ci ne résiste pas et laisse revenir les fantômes de l'inscription dès le lendemain! C'est alors qu'interviennent les CRS qui vont chercher à la crypter pour la rendre indéchiffrable...


Gérard Sainsaulieu s'est arrêté sur elle lors de ses pérégrinations parisiennes et l'a photographiée. Il s'est interrogé sur l'histoire de ce cryptogramme et a réussi à en déchiffrer l'énigme. Mais en Avril 2014, malgré son intervention auprès du Président de l'Université, les travaux de rénovation des bâtiments ont fait disparaître l'inscription! Propreté urbaine oblige, uniformisation des édifices, effacement des traces de l'Histoire...


Il en va parfois de même  avec les traces des traumatismes psychiques, encore plus difficilement accessibles lorsque ceux-ci se trouvent croisés avec l' Histoire et les volontés étatiques de censure, voire de manipulation perverse de la vérité. Il faut lire ces deux passionnantes pages du journal et je remercie Gérard Sainsaulieu de m'avoir autorisée à en reproduire l'une des photos.