mardi 24 novembre 2015

Vivre, parler et mourir

A la radio, sur France culture ce lundi matin 23 Novembre, lors d'un émouvant entretien avec le romancier Boualem Sansal, auteur du roman 2084, récemment primé, il a été question des paroles du poète algérien Tahar Djaout, dites lors des années noires de l'histoire algérienne, "Si tu parles, tu meurs, si tu ne parles pas, tu meurs, alors parles et meurs".  Et ce poète a bien été assassiné.


Et puis ces jours-ci la lettre d'information électronique du théâtre des quartiers d'Ivry nous proposait en exergue, en cette nouvelle période d'attentats répétés, en Europe, cette fois-ci, un radical constat de Martin Luther King: "Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères ou périr ensemble comme des idiots."


Les Vigiles par DjaoutUn grand merci à ceux qui raniment la pensée et à ceux qui la transmettent! Ils nous redonnent confiance en la vie et en l'humanité. Mais à quel prix! Et que nous réserve maintenant ce qui cause la peur de Boualem Sansal, lui qui continue de parler et d'écrire?


Ceux qui sont morts le vendredi 13 Novembre  n'ont pas payé pour leur parole mais il nous incombe sans doute, à nous autres encore en vie, de recevoir les évènements et de tenter de les transformer en paroles, en paroles qui puissent s' inscrire dans le temps.






mardi 10 novembre 2015

Possibles futurs, Guillevic


Il est des rencontres précieuses, imprévues, inédites. Sur la table du libraire, un titre m'arrête, qu'on dirait tout droit issu des écrits du psychanalyste Bion... et qu'aimait peut-être Jean-Max Gaudillière: "Possibles futurs".


C'est le dernier recueil de poèmes de Guillevic publié de son vivant (il est mort en 1997). Ce recueil vient d'être réédité avec une nouvelle préface de Michael Brophy dans la collection Poésie Gallimard. Et en le feuilletant j'ai décidé de me plonger dans l'oeuvre de ce poète qui restait dans ma mémoire en attente d'être reconnue.


Ces "Possibles futurs" ouvrent des voies poétiques liées à la vieillesse du poète mais surtout à ce qui se parle en lui de l'espace-temps depuis toujours. On peut trouver sur internet plusieurs videos dont une où il est interrogé par Pierre Jakez Hélias, le célèbre conteur breton. Certains de ses poèmes y sont lus. Et des merveilles nous sont dites, comme ce vers-là à propos de son village: " Entre le bourg et la plage, il y avait sur la droite une fontaine qui n'en finissait pas de remonter le temps." Guillevic y parle de l'eau qui ne bouge pas et pour lui "la fontaine est aussi comme une ouverture sur l'origine."

Il y évoque son rapport à l'histoire: "J'ai toujours dit que j'ai vécu plus dans la préhistoire que dans l'histoire, ce qui ne m'empêche pas d'avoir des positions politiques." Et l'interview se déroule dans le site des menhirs de Carnac où il est né:  "J'essaye de vivre la vie des rocs."


L'art poétique de Guillevic est un travail avec l'espace-temps: "Le poème est comme un port où la durée s'arrête... Le poème est un moment vertical par rapport à la durée. "


En écoutant et en regardant cette video, je suis frappée de ce que ce poète parle d'une façon aussi forte qu'il écrit. Ce qu'il essaye de formuler à son interlocuteur, lui-même nourri des contes et grand attentif à la langue, est de la même veine qu'un poème. Il pense et donne forme à ce qu'il dit presque dans le même temps.


Ce film le restitue magnifiquement car à cette époque on aimait, dans certains medias, voir et entendre naître une pensée. Et sur ce plan, les tentatives faites par le psychanalyste W.R.Bion pour formaliser la naissance des pensées, et leur parcours dans le travail d'un analyste, m'apparaissent entrer particulièrement en résonance avec cet art poétique.