mardi 22 juillet 2014

Après la guerre?





Affiche exposition Algérie Entre la France et l'Algérie, une histoire, une colonisation, une guerre qui a eu plusieurs noms; des attentats, des manifestations, des signatures d'accords, des poses de plaques commémoratives, des travaux d'historiens, des films, des romans, des témoignages, des créations d'associations, des musées... J'en ai évoqué certains dans Rue Freud et sur ce blog, en relation avec le travail psychique et ses va et vient entre censure, oubli, reconstructions, obstructions, révélations, parfois directement en rebonds avec les censures politiques. 

Le cinquantenaire de la signature des accords d'Evian entre la France et l'Algérie a été fêté en 2012. Divers évènements l'ont commémoré comme l'exposition réalisée au Musée des Invalides à Paris; ou des nominations de lieux comme le nouveau baptême de la station de métro au coeur des évènements de Février 1962 à Paris (Cf l'article de ce blog "Carrefour de Charonne").

 Depuis longtemps déjà, des scientifiques, notamment historiens, travaillent ensemble de part et d'autre de la Méditérrannée.Tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, comme tous ces voyageurs prenant régulièrement le paquebot pour retrouver leurs lieux d'origine, ceux d'un moment crucial de leur vie ou ceux qu'ils ont adoptés.






C'est montré avec beaucoup d'émotion et d'intelligence dans le film documentaire "La traversée", réalisé par Elisabeth Leuvrey en 2012 et sorti en salles en 2013. Elle y interrogeait nombre de ces voyageurs divers au cours de leur traversée, en ce lieu tiers entre les deux rives, ni ici ni là-bas, aller pour les uns, retour pour les autres, et vice versa... On y entend notamment l'un des passagers conclure: "L'idéal serait peut-être d'arriver à faire de deux mondes un troisième monde"... Oui, pour sortir de cette opposition à deux termes si destructrice et si handicapante pour la pensée.


 de Elisabeth Leuvrey Sortie nationale le 17 avril 2013Justement la multiplicité des côtés concernés n'a pas fini de faire tanguer l'embarcation! Une fragile embarcation plutôt qu'un paquebot... Deux rives peut-être mais tant d'acteurs étrangers les uns aux autres, parfois tout autant lorsqu'ils sont de même nationalité! Cela nous est encore renvoyé aujourd'hui par une actualité méditerrannéenne, celle de la ville de Montpellier, devenue à la fin de la guerre, ville refuge pour de nombreux rapatriés d'Algérie. Je découvre le projet de création du "Musée de l'Histoire de la France et de l'Algérie" au moment où celui-ci est menacé d'annulation par le nouveau maire. Une pétition pour le maintient du projet de Musée avec ses derniers aménagements avant ouverture est lancée en effet par le comité scientifique du Musée; je suis  invitée à la signer, comme d'autres, ayant déjà eu l'occasion de nouer des liens de travail avec certains des participants du comité.


M'informant alors de plus près sur cette menace de décision qui semblait être aberrante voire scandaleuse, je découvre que le précédent maire avait d'abord lancé l'idée d'un "Musée de l'histoire de la France en Algérie". Dénomination bien différente de la suivante, en effet, et deux projets quasiment opposés! La seconde nomination et la réorientation du projet avaient été rendus nécessaires pour l'obtention du label "Musée de France" à laquelle avait travaillé le comité scientifique. Finalement le Maire a tranché et obtenu le vote du conseil d'agglomération de Montpellier pour la suppression du projet et le choix d'aménager un musée d'art moderne à l'hôtel Montcalm, initialement prévu pour l'autre Musée. Une autre guerre a donc relayé la précédente, politique celle-ci, et guerre des mémoires encore, avec effusion d'argent à la place du sang! Et ce Musée n'en est sans doute qu'un exemple parmi d'autres.



"Guerre civile", Edouard Manet, lithographie de 1874,
présentée au Louvre-Lens
L'ancien projet, déjà réorienté, puis renommé, émigrera donc ailleurs et c'est l'occasion pour moi de faire le tour des différents Musées de la région consacrés à cette histoire de la France et de l'Algérie sous des angles divers. Par exemple, se construit en ce moment le futur mémorial du camp de Rivesaltes confié à l'architecte Rudy Ricciotti. Il sera consacré aux réfugiés et internés successifs y ayant transité, ceux de la guerre d'Espagne, puis les Juifs en 1942, puis les harkis en 1962. Guerres successives, réemplois des camps, renominations, comme le passage de "camp" à "centre"...


Ces guerres indéfiniment recommencées sont reprises en thématiques transformées successivement par les écrivains et les artistes, ainsi que le montre la très belle exposition du Louve-Lens sur "Les désastres de la guerre" dont je parlerai dans le prochain article.


mercredi 9 juillet 2014

Sculpteurs sonores

Bill Viola, vidéaste, mais quel créateur des rapports du son et de l'image! Les effets de trouble et d'inquiétante étrangeté provoqués par ses images video n'auraient pas une telle portée si ces oeuvres n'avaient pas été conçues aussi comme des créations musicales. 


Entrer dans cette exposition, c'est entrer dans un monde sonore, lui-même indéfinissable. Le visiteur ne sait jamais exactement d'où vient le son, sauf à certains moments précis. Il entend déjà les sons voisins depuis la salle où il se trouve. Il peut être amené à anticiper sur ce qu'il va trouver dans la prochaine salle alors qu'il est précisément invité par la vidéo immédiatement regardée à rester dans un rapport patient avec elle, à y éprouver une véritable expérience du présent. 


Quelque chose attire en effet souvent dans la salle suivante. Quelque chose crée déjà une continuité avec ce qui va suivre. Tout se déroule de façon sonore pour faire exister le présent  mais tout invite simultanément à concevoir l'enchainement des instants, leur transformation visuelle et sonore, déjà commencée depuis un moment pourtant indiscernable. 



















Cette cocréation visuelle et sonore fait vivre des moments époustouflants, d'incroyables ruptures, des surgissements et des effondrements, tous évènements qui vous soulèvent le coeur. Et cela se vit avec les autres présences, les visiteurs évoluant au ralenti, immobilisés puis repartant, parfois s'asseyant, ou préférant attendre debout, s'offrir ou faire face. 


C'est aussi ce que j'avais ressenti avec le travail de Mathilde Monnier et Dominique Figarella, proposé, lui, dans un espace sonore sombre et silencieux, habité juste par les bruits du corps, ceux des participants danseurs et spectateurs, bruits de souffles, de frottements, de chuchotements.... A l'exposition Bill Viola, nos corps ne se déplacent pas du tout comme dans une exposition habituelle. Nous sommes tous plongés ici dans la pénombre et plutôt très silencieux. Nous chuchotons tout au plus. Lorsqu'il arrive que des visiteurs parlent communément, c'est même surprenant.


Il est vrai qu'il faut accepter ici de se faire enlever dans ce monde mouvant, d'y pénétrer et de l'accueillir, et sans doute cela peut-il créer aussi de l'angoisse. D'où peut-être parfois la nécessité d'une certaine agitation contraire, chez ceux qui ne sont pas familiers de leurs abîmes psychiques aux confins de la vie et de la mort.