vendredi 27 décembre 2013

Sous la vague, la femme de Loth



Cette sculpture de Camille Claudel a-t-elle un lien avec la femme de Loth? Oui. Elle ne la représente pas directement mais elle s'intitule "La vague". Elle a pris une place écrite dans Rue Freud et je lui redonne ici une place photographique. 

En situation transférentielle analytique, il est possible de passer, dans les associations d'idées d'une analysante, de la vague d'un rêve à la femme de Loth en colonne de sel. Puis celles-ci peuvent se prolonger dans les associations de l'analyste avec des oeuvres artistiques ou littéraires : ainsi dans l'exemple de Rue Freud, celles de Rodin, ses faunesses, et de Camille Claudel, sa vague, jusqu'à celles d' écrivains interpellés eux aussi par cette femme de Loth comme Daniel Mendelsohn.



Ce sont des chemins imprévisibles tracés au vif des séances analytiques. Ils se poursuivent après-coup au quotidien de la vie mais aussi dans des parcours éventuels d'écriture.



Les vagues racontées en rêve prennent elles-mêmes des formes changeantes, au fil des récits faits par les analysants. Elles apparaissent comme des variations sur un même rêve, tels ces angles de vue différents présentés sur une même sculpture. Ici la vague de Camille Claudel s'est d'abord offerte à mon regard comme une invitation à la danse, alors qu'elle donne consistance à un mouvement beaucoup plus inquiétant, sous ce second angle, déjà presque écrasant...


jeudi 19 décembre 2013

De la femme de Loth à la Belle au bois dormant

          "Mythes et contes sous transfert" est le titre que j'avais donné à un article publié par la revue Le coq Héron (n°200, 2010). J'y travaillais sur la place de ces références partagées que sont les contes ou les mythes, dans le déroulement de certaines analyses et dans le transfert. Avec cet article, l'exemple portait sur la référence au conte de "La Belle au bois dormant" de Charles Perrault. Et cela un peu sur le même principe que l'histoire de la femme de Loth pour l'exemple développé dans Rue Freud.  
  
          Après-coup m'apparaissent des différences importantes dans la façon dont ces références ont pris place dans le transfert. Avec le conte de la Belle au Bois Dormant amené par une analysante, j'étais confrontée à un récit que j'avais déjà abondamment travaillé, notamment dans le cadre universitaire. Rien de tel avec la femme de Loth: elle était d'abord restée dans ma mémoire aussi figée que ce que sa métamorphose en statue de sel avait fait d'elle! 


          C'est ainsi que la Belle au Bois Dormant s'était une nouvelle fois éveillée en moi grâce à la place que lui avait donnée cette analysante, alors qu'elle avait déjà subi quelques métamorphoses dans ma vie universitaire et longuement cheminé avec ma pensée et mes fantasmes.



           Constatant après-coup ce parcours, j'ai même pensé que cela pourrait faire un jour matière à un livre. Non pas seulement parce que ce conte semblait devoir me donner encore et toujours de quoi travailler, désormais en tant qu'analyste, mais surtout parce qu'il s'avérait inspirer encore bien d'autres que moi et cela malgré son caractère apparemment désuet, bien éloigné de nos univers psychiques d'aujourd'hui... Un conte particulièrement apte à traverser les temps et qui pour cette raison pourrait me donner encore à écrire...
  
          
         L'une endormie, l'autre pétrifiée, voilà deux héroïnes assez proches l'une de l'autre. Toutes deux inscrivant des temporalités problématiques et pas seulement "merveilleuses"... Pourtant la femme de Loth, grâce à une situation transférentielle, s'est introduite dans ma vie psychique alors qu'elle n'y avait jusque-là pris aucune place, enfin... aucune place consciente, devrais-je dire. C'est un peu comme si j'avais dû accueillir un nouvel hôte dans ma vie psychique.


          Au contraire, avec la Belle au Bois Dormant j'avais dû accepter de modifier mon accueil d'un hôte familier, accepter qu'il me devienne presque étranger au fur et à mesure de ce que le transfert lui faisait vivre... Finalement je n'ai pas écrit tout un livre sur la femme de Loth, seulement une partie importante de Rue Freud, mais elle m'a cependant permis de trouver le fil rouge de mon travail sur le retournement derrière soi. Et il semble bien que je n'en aie pas fini avec elle...
 

          Cette reproduction librement inspirée du conte de la Belle au Bois Dormant est extraite de mon livre Sept familles à abattre Essai sur le jeu des sept familles et provient d'un jeu de cartes du Musée français de la carte à jouer d'Issy les Moulineaux, intitulé "Les fabliaux". Ce jeu présente une adaptation des contes de Perrault en jeu des sept familles.

jeudi 12 décembre 2013

De Gilgamesh à Sindbad le marin


Le thème du regard en arrière est le fil rouge de l'écriture de ce livre. Il ne renvoie pas seulement à ce regard derrière soi, sur le passé, sur l'enfance ou sur l'Histoire, que sollicite l'expérience psychanalytique. Il renvoie encore à ce motif de l'interdiction de se retourner en arrière, largement développé dans les contes et les mythes, jusqu'à l'interdit de se retourner sur les morts ou de chercher à descendre aux Enfers en tant que vivant. 

Le travail de l'analyse amène à porter un regard particulier sur cette thématique, notamment à travers  les expériences temporelles psychiques que le processus analytique peut faire résonner, voire rejouer, chez les analysants et chez les analystes. Dans ces expériences, la mémoire peut être celle du futur, le présent se couper du temps, le passé se présenter comme non encore éprouvé ni encore inscrit psychiquement.  
 
 
Si les grands récits reviennent fréquemment sur cet interdit, c'est dans le mouvement-même d'un désir de se retourner, apparemment incorrigible, au point d'être toujours transgressé... Ce fil rouge se trouve tissé en séance d'analyse tout à fait singulièrement avec l'histoire de chacun tout en croisant parfois les trames de la grande Histoire, notamment, dans Rue Freud , celle qui relie la France et l'Algérie.
 
 
Les personnages rencontrés symboliquement dans ce livre font partie d'un patrimoine culturel partagé: Gilgamesh, la femme de Loth,  Sindbad le marin, parfois convoqués par des analysants en séance ou associés par l'analyste à ce qu'il entend d'eux. Ils sont accompagnés, dans l'écriture de Rue Freud , de penseurs et de créateurs comme Platon ou Rodin, venus nourrir le travail sur le transfert.

 C'est ainsi que cet homme qui tombe, photographié récemment au Musée Rodin, me rappelle singulièrement le mouvement de retournement en arrière donné par Rodin à sa femme de Loth, évoqué dans mon livre. Mais ici cette étude de Rodin pour la porte de l'Enfer vient rejoindre dans ma mémoire "l'homme qui chancelle" de Giacometti. Lui-même s'était souvenu de "L'homme qui marche" de Rodin pour ses marcheurs de vent... Dressé, le marcheur de Rodin, mais hommes volants, les marcheurs de Giacometti...


Tomber à la renverse... la chute en contrepoint du travail de la marche... Les torsions de l'immaitrisable qui apprennent à marcher et à regarder autrement autour de soi... Un mouvement contraire à celui de la pétrification de la femme de Loth? Pourtant Rodin lui a donné tous ces mouvements à la fois dans son aquarelle de "La femme de Loth".


L'expérience transférentielle analytique se présente ainsi dans sa dimension polyphonique à travers toutes ces références culturelles et historiques partagées, ou que l'analyste se doit de faire siennes si elles lui sont d'abord étrangères. Le travail de l'écriture offre alors ses voix pour de nouvelles résonances à transmettre et à partager sous d'autres formes et dans d'autres cadres, publics, ceux-là.  


mercredi 4 décembre 2013

Cheminements psychiques avec la guerre d'Algérie


Dans Rue Freud, la Méditerranée est bien présente, même si le point de départ du livre se situe à Paris. Une partie du texte s'est écrite à Sète d'où je voyais les paquebots partir de l'autre côté de la mer. Et j'y ai vu aussi sur le port les plaques commémoratives des départs de bateaux de réfugiés des guerres successives ... 

Depuis ce port méditerranéen, j'ai travaillé sur la place de la guerre d'Algérie dans mon expérience psychanalytique. Cette guerre traverse de multiples psychanalyses. Dans mon cabinet, j'en réentends les échos à travers la parole de personnes de différentes générations, ayant directement vécu cette guerre ou l'ayant reçue en héritage.

Je n'ai pas eu jusqu'à présent à accueillir de personnes ayant "fait" cette guerre, comme on dit. Mais j'ai accueilli des enfants "d'appelés" et de militaires l'ayant "faite", des enfants de "pieds noirs" ayant dû quitter l'Algérie, des enfants d'Algériens venus s'installer en France eux aussi à la fin de cette guerre.

J'accueille également de jeunes étudiants algériens de passage en France aujourd'hui pour approfondir leurs études, n'étant pas nés pendant la guerre d'indépendance mais enfants pendant la décennie 90 qu'on appelle "les années noires". Et encore  d'autres algériens d'origine, ayant choisi de vivre en France ou simplement venus pour leurs études mais restés depuis et ayant acquis la double nationalité. 

Ces analysants se disent souvent marqués par une forme de division, de double identité culturelle, et peuvent douter parfois de leur choix de rester en France ou de retourner en Algérie. Il arrive que la décision de faire une psychanalyse entre peu à peu en contradiction avec leur éducation religieuse. Ces chemins de l'analyse s'avèrent ainsi aussi déstabilisants que la guerre elle-même pour ceux qui y ont été directement confrontés.


Si la guerre d'Algérie prend place dans Rue Freud, c'est parce que je tente d'y écrire comment mon propre rapport à cette guerre peut nourrir ma pensée de psychanalyste avec ces analysants et entrer dans la dynamique du transfert. Expérience délicate qui amène l'analyste à un certain dévoilement de sa pratique étayée sur une histoire personnelle, pour éviter de discourir sur l'autre comme le ferait un médecin parlant de son patient. Cette expérience vise à trouver dans l'écriture une autre position que celle d'un surplomb, peu cohérente à mon sens avec la démarche d'un psychanalyste.

Mes pérégrinations à partir de la rue Sigmund Freud à Paris m'ont ainsi emmenée sur le port de Sète mais aussi sur le pont St Michel à Paris où l'on peut lire sur la plaque commémorative l'évocation de la manifestation d'Octobre 1961 (photo ci-dessus) ainsi qu'à la station de métro Charonne, où a été posée celle qui commémore la manifestation de Février 1962. 
 




lundi 25 novembre 2013

Archives Rue Sigmund Freud


On trouvera ici les documents concernant l'attribution du nom de Freud à une rue du 19ème arrondissement de Paris; documents que j'ai consultés aux Archives municipales de la ville de Paris, porte des Lilas. Je n'en ai cité que quelques extraits dans mon livre.








Les archives suivantes confirment la liste des noms de rue retenues à cette date-là:







avec en article premier celui d'Ali Chekkal sur lequel quelques réserves ont été émises (cf dernière archive ci-dessous)




et en article 19 le nom de rue Sigmund Freud


 


La dernière archive ci-dessous évoque le problème posé par la nomination de la rue Ali Chekkal. Les effets de la guerre d'Algérie sont vifs douze ans après la signature des accords d'Evian.





L'ensemble de ces archives concerne la première partie de Rue Freud en particulier les chapitres intitulés "Sur la zone des commencements", "Au nom de Freud" et "Revenants d'une écriture psychanalytique".




 

mercredi 20 novembre 2013

Boulevards périphériques

         

          Lorsque j'écrivais Rue Freud lors d'un de mes séjours à Sète, sur le quai d'Alger cette fois-là, je lisais en même temps le roman d'Henri Bauchau Le boulevard périphérique. J'y ai juste fait allusion dans mon livre, et pourtant! Je pourrais en faire un fil rouge des voyages de l'inconscient avec les lieux géographiques et psychiques de mon écriture. Je n'avais alors pas encore décidé de faire de la rue Sigmund Freud l'ouverture et le titre de mon livre, même si je l'avais déjà découverte et si j'avais déjà écrit à partir d'elle pour en faire un jour "quelque chose". Je crois que cela a pris corps avec le texte d'Henri Bauchau et la place qu'il y a donnée à ce fameux boulevard périphérique parisien sous lequel se niche la rue Sigmund Freud . 

          Sur le quai d'Alger, j'étais habitée par le boulevard périphérique parisien tout en devant écrire sur la femme de Loth (je travaillais en fait à la rédaction d'un article pour la revue du Coq Héron). Et je me suis trouvée happée par les mouvements du (de la) Comarit, paquebot paradant devant mes fenêtres en entrant et en sortant du port de Sète... Impossible de me rendre aveugle à ces évènements-là! Impossible de ne pas laisser mon écriture s'en imprégner! Je me suis peu à peu laissée prendre par leur dimension mythique. L'écriture d'Henri Bauchau, sa parenté et son affrontement avec la mythologie, a dû me servir inconsciemment de guide. Les grues du port me sont ainsi apparues peu à peu comme des gardiens géants, à la mesure des colosses paquebots... 


 
J'étais encore loin, à l'époque, de savoir qu'un jour j'aurais la possibilité de rencontrer Henri Bauchau lui-même à Louveciennes où il vivait, pour un entretien organisé avec deux de mes collègues de la revue des Lettres de la SPF. Ce saut de l'imaginaire, du fantasme, de la mythologie, de l'écriture, dans le réel de sa présence, a été un évènement fondateur: ce n'est qu'avec lui que j'ai pris conscience de cet héritage.  

Pour poursuivre: Revue Le Coq héron n°196, 2009
Les Lettres de la SPF n°26, article intitulé "A la rencontre d'Henri Bauchau", 2011.

vendredi 15 novembre 2013

RUE FREUD, paru aux éditions "Hermann psychanalyse"

     


La rencontre de la rue Sigmund Freud et les pérégrinations psychiques auxquelles elle m’a conduite est proposée dans ce livre comme ouverture à une dynamique d'écriture psychanalytique, telle que je la rêve et telle que je la cherche. 
Cela commence par le récit d'une simple promenade parisienne entre la Porte des Lilas et la cité de la musique et des sciences de la Villette, sous le signe de noms aux résonances singulières, "Les Archives", "le cimetière du Père-Lachaise". 

Ces noms renvoient aux traces du passé, à l'histoire et à la place des morts; ils invitent à un regard en arrière, comme peut le faire une psychanalyse.  

 C'est le récit d'une marche qui réinvente les lieux à travers le corps qui se déplace, perçoit, éprouve et qui fait résonner la mémoire du marcheur et son expérience.

 C'est le récit d'une promenade muée en une aventure psychique provoquant émotions et troubles de vision et engendrant une curiosité quasi frénétique, non pas seulement intellectuelle, mais bien plutôt de l'ordre de la pulsion, cette pulsion épistémologique dont a parlé Freud. 

Oui, un psychanalyste peut penser, élaborer, interpréter également à partir de son corps, de son émotion, de ses troubles psychiques et les relier à son bagage théorique ...